mercredi 7 novembre 2012

EO : Les liens que tu peux établir avec les musiques traditionnelles, où se situent-ils ?
YG : Une des nombreuses choses qui m'intéresse dans les musiques traditionnelles – je parlerais plus facilement des musiques des monts d'Auvergne que je pratique par ailleurs – c'est l'utilisation de la mélodie. Pour l'interprète de ces musiques, la mélodie, toujours relativement courte, constitue un motif permettant la variation au moyen de l'ornementation, du phrasé, des modes ou échelles de notes choisis par l'interprète. Il existe ainsi autant de versions que de musiciens. Ce phénomène est accentué par la circulation orale et non écrite du répertoire.
EO : Ces évolutions sont aussi générées par l’altération du copiage. Un musicien voulant apprendre à jouer la même chose qu’un autre ne pourra retrouver exactement le même son. Le style qui lui est propre, sa manière de jouer... son corps manifeste une volonté de son.
YG : Ces musiques que l'on qualifie de traditionnelle, sont issues d'une tradition rurale aujourd'hui disparue. A l'heure de l'industrie de la musique nous sommes complètement déconnectés de l'aspect fonctionnel qui caractérisait ces musiques de routine. Et puis lorsqu'on écoute les enregistrements de violoneux collectés dans les années 60 ou 70, derniers témoins de cette culture, on est frappé par leur complexité sonore. Les timbres et les échelles de notes utilisées sont en dehors de la norme établie par la musique savante occidentale et qui est devenue la norme de toute les musiques médiatisées actuelles. Cette standardisation du sonore tant vers un appauvrissement de notre capacité de l'écoute. 
JS : Pour sortir de ce format occidental auquel nous sommes habitués que proposes-tu ? L’écoute ? Comment s’y prendre ?
YG : Un ré-apprentissage de l’écoute est essentiel. De passive, elle doit devenir active. Nous sommes constamment baignés dans un substrat sonore de plus en plus resserré – allons nous mettre un disque en fond sonore pendant notre discussion ? Les médias sont gorgés de sons compressés et sans aucune dynamique. La prolifération sonore vient combler le moindre silence, mais c'est oublier que le silence ce n'est pas l'absence de son... Je m’interroge souvent sur la façon dont était perçue la musique avant l’arrivée de l’enregistrement. Elle devait avoir un caractère exceptionnelle que l’on à perdu.
[...]
JS : Ce qui me plaît dans ton travail et ta manière de travailler c’est justement ce point de départ qui est l’écoute. Tu vas ensuite développer, rendre perceptible des phénomènes sonores existants, auprès desquels nous passons habituellement sans pouvoir les percevoir.
YG : Par habitude nous orientons notre écoute vers la source du son, vers l'objet ou la personne qui émet le son. En faisant cela, on oubli que le son se diffuse de manière sphérique. La spatialité est une qualité du son. Lorsqu'une onde sonore est émise, elle ne se dirige pas uniquement vers l’auditeur, mais se propage dans toutes les directions et sera arrêtée ou réfléchie par les différents éléments qui constituent un lieu. Ces éléments, murs ou objets... entrent en résonance avec le son, l'absorbent ou le réfléchissent donnant lieu à de nouvelles localisations au sont. Porter son attention et son écoute vers ces phénomènes révèle une autre perception des espaces. Je cherche dans mes travaux à faire apparaître des zones précises où la perception auditive, mais aussi visuelle, entre en vibration avec l'environnement direct.

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